Il est le seul compositeur dont j’aie exploré autant le catalogue. Pas parce que les autres me sont inintéressants, mais parce que je reviens toujours à lui. Petit à petit, au fil des années, j’explore de nouvelles œuvres de Maurice Ravel, et c’est seulement lorsque je m’en serai lassé que je chercherai vraiment ailleurs. Mais il restera sans doute pour toujours celui qui me parle le plus, peut-être pas le meilleur, mais le plus personnel.

Maurice Ravel Martha Argerich

Sonatine

J’ai découvert la musique de Ravel quand ma professeur de piano m’a donné à étudier le mouvement de menuet de la Sonatine, quand j’étais en terminale. C’est sans doute l’un de ses morceaux pour piano les plus joués, parce que relativement accessible. Ce mouvement assez doux m’avait tout de suite séduit, par sa mélodie mais surtout par ses harmonies désuètes. Dans le menuet, on sent un côté vieilli et froid, mais pas sans beauté, au contraire. On s’attarde sur les accords, parce que chacun isolément est beau. Mais on ne s’autorise pas tellement de sentiments, le rythme doit rester presque constant. Les moments piano sont en retenue, mais les moments forte ne sont pas triomphants, ils sont presque glaciaux, comme dans la montée au milieu du mouvement. On peut presque dire que ce morceau m’a fait aimer le piano. Pourtant, je venais de passer mon examen de deuxième cycle ! Mais je n’avais jamais été un gros travailleur. Plusieurs fois, ma professeur avait failli me tuer parce que je n’avais pas joué de la semaine. Le seul moment précédent où le piano m’avait vraiment motivé, c’était en seconde, lorsque je travaillais les moments musicaux 3 et 4 de Schubert. J’ai écouté la version d’Argerich (trouvée par hasard, sans savoir qui elle était, j’en ai un souvenir en sortant d’un stade où j’arbitrais, peut-être à Maisons-Alfort ?), et la magie a opéré. Je savais que je voulais jouer le menuet parfaitement. Pour la première fois, à l’audition de fin d’année, j’avais le trac, du genre tachycardie extrême, parce que pour la première fois je tenais vraiment à ce que j’allais jouer. Ce n’est qu’un peu plus tard, quelques mois, je crois, que j’ai écouté les autres mouvements, plus difficiles à jouer (je ne m’y suis jamais essayé). Ils gardent une unité avec le mouvement central, mais sont tous les deux plus rapides, un peu plus chaleureux. Argerich ne joue pas la Sonatine de la manière la plus ravélienne qui soit, parce que sa rythmique n’est pas stable, elle est légèrement romantique et endiablée, mais avec elle, ça fonctionne.

Boléro

Le Boléro, c’est très fun.

Le Tombeau de Couperin

Peu avant d’arrêter mes cours de piano au conservatoire (parce que je partais en école), j’avais commencé à apprendre la Forlane du Tombeau. Je ne l’ai finalement jamais vraiment travaillée, mais j’ai alors pu découvrir cette œuvre, la dernière pour piano seul que Ravel ait écrite. Je me souviens particulièrement d’un enregistrement du Prélude dans sa version pour orchestre, et avoir été subjugué par les passages chantant comme des oiseaux. Il y a tellement de clarté dans certains de ces morceaux, un grand soleil d’hiver, dans le Prélude, la Forlane, le Rigaudon. Ce sont des danses, mais on danse après la guerre. Le Menuet est tellement simple, mais en même temps on n’a rien envie d’y rajouter, et dans les accords se cachent aussi des merveilles. Plus récemment, je suis devenu obsédé par la Toccata, complètement rock et virtuose. À la fin, quand tout s’emballe, on peut sentir les murs trembler, alors que ce n’est que le piano. Le Tombeau de Couperin est une œuvre parfaite, et purement ravélienne.

Jeux d’eau

Joli.

La Valse

Chef d’œuvre orchestral. Richesse dans le nombre de motifs, et impression d’une vague emportant tout. La Valse contient une tension qui dure de la première à la dernière note. J’ai eu la chance d’assister à une représentation de l’orchestre de Paris à la Philharmonie, et le final était purement électrique, les coups d’archets retardés me donnaient des frissons.

Quatuor à cordes

Je n’aime pas autant que d’autres, mais le premier mouvement me plaît beaucoup. Je dois dire que je comprends qu’il ait été mésestimé à sa parution, c’est dans les détails cachés que la pièce se révèle.

Miroirs

Je n’ai jamais trop accroché, bien que la pièce ait de jolis moments. Exception pour l’Alborada del Gracioso que j’adore dans sa version pour piano, tellement piquante. On est d’abord exposé au thème principal, puis le développement se déroule sur de longues minutes en faisant penser à un retour du thème, qui ne vient finalement jamais, mais c’est ce qui permet de tenir la tension aussi longtemps.

Concerto en sol majeur

Découvert en 2021, j’ai d’abord bien sûr accroché avec le deuxième mouvement. Cet Adagio est toujours réussi, parce qu’il est tellement sobre, classique, épuré, indéniable. La mélodie pour piano initiale est parfaite, puis la partie centrale avec l’orchestre développe des harmonies très touchantes, tout s’emballe, et enfin la reprise du thème par le cor anglais, sublime. Mais j’aime tout autant les autres mouvements, surtout le premier, avec des moments presque rock (la montée finale) autant que des passages de pure beauté pianistique (la dernière cadence, avant la reprise par l’orchestre). Le troisième, Presto, est plus comme une friandise amusante et vite consommée (mais quand même impressionnante de technicité). Interprétations : Argerich 1967, François 1959.

Concerto pour la main gauche

Chef d’œuvre absolu, de la première à la dernière seconde, pendant 18 minutes. Peut-être ce que je préfère de Ravel. Version parfaite ici, moment préféré 11:45. Le concerto pour la main gauche est assez déconcertant quand on l’écoute pour la première fois, parce qu’on peine à comprendre sa forme et ses thèmes. Mais alors, quand on commence à retenir les phrases principales, et que l’on décèle les répétitions de structure, la manière dont les thèmes se répondent, disparaissent puis reviennent, tout devient absolument clair. L’œuvre est moderne, avec tous ses éléments de jazz, mais la forme, elle, relève du classicisme le plus parfait, il y a une pureté indescriptible. Quand le premier thème revient à la fin de la marche jazz, et que l’on découvre que les deux mouvements a priori différents se mélangent pour donner une tension indescriptible, on touche au divin. C’est aussi le cas pendant la dernière cadence, et quand l’orchestre revient pour un dernier éclat. Ce qui accentue le sublime, c’est de savoir quelle souffrance est requise de la part du pianiste pour arriver à ce résultat. Il suffit de regarder un concert en vidéo, et de voir ce qui est nécessaire en termes de don de soi à la fin de la cadence, pour tenir le rythme.

Valses nobles et sentimentales

Trop souvent oubliées, elles sont, dans leur version pour piano, parmi mes œuvres préférées de Ravel. J’avais, au départ, découvert leur version pour orchestre, et effectivement, mis à part le final (VII), rien ne m’avait retenu. Mais au piano, chacune des valses est un petit morceau plein d’harmonies complexes et intrigantes. J’ai toujours adoré la I, avec ses dissonances, la III, bondissante et modale, et bien sûr la VII, électrique dans cette version d’Argerich. C’est une pièce pour piano relativement accessible pour moi, que j’essaie de travailler depuis des années, toujours par éclats de motivation espacés. J’ai déjà monté la I presque jusqu’au tempo, ainsi qu’un peu de la II. Objectif d’une vie : savoir tout jouer un jour.

Gaspard de la nuit

Comment est-ce possible de jouer ça ? Ondine, très beau, mais rarement bien joué. Le Gibet, peut-être ma préférée. Scarbo, too much.

Daphnis et Chloé

Il m’a fallu du temps pour vraiment découvrir et apprécier Daphnis et Chloé. Il faut écouter la version complète pour ballet, se laisser embarquer par les chœurs dans la montée initiale, tolérer les quelques longueurs vers le milieu, puis arriver au lever du jour, splendide et complexe. Pas quelque chose que j’écoute tous les jours, mais une prouesse d’orchestration, où tout est clair dans la masse.

Trio avec piano

J’adore le trio. C’est une pièce extrêmement moderne, une pièce qui sent l’amour du jeu dans la musique. Je veux adapter le premier mouvement, au moins, pour un ensemble rock, parce que cette ligne de mélodie me hante, surtout dans son retour accéléré. Le final (IV) est électrique, comme Ravel sait le faire. Et dans la Passacaille (III), il y a toujours ce côté désuet et modal.

Sonate pour violon et piano

Vaut le détour ne serait-ce que pour le Blues !

Ma mère l’Oye

Trop longtemps ignorée par moi, j’aime surtout la version complète pour orchestre, avec des moments de génie orchestral dont Ravel a le secret, comme le Jardin féerique très Daphnis. Une autre collection de petits bonbons.

Tableaux d’une exposition (Mussorgski)

L’orchestration de Ravel est vraiment un travail d’orfèvre, au point où on se demande si la pièce de piano originelle contient vraiment autant de richesses. Je me souviens avoir entendu la première Promenade en cours de solfège et avoir tout de suite été impressionné par les jeux de nuances et d’équilibre entre les passages cordes seules, les tutti, les vents seuls, etc. Plus tard, je suis tombé amoureux du Vieux Château ; et ce n’est que beaucoup plus récemment que je me suis réellement penché sur le reste des piécettes : Kiev, Limoges, etc.

Pavane pour une infante défunte

Je l’avais oubliée… Pourtant, je l’avais jouée, non sans plaisir. Mais au-delà du côté désuet et plaisant, c’est quand même assez oubliable, parce que trop joli. J’y reviens donc très peu.